AQUA PRO GAZ - conférence sur le « Blackout électrique »

L’ingénieur Jacques Audergon est l’un des intervenants du salon Aqua Pro Gaz à Espace Gruyère

CHARLES GRANDJEAN

Electricité » Dédié aux professionnels de l’eau potable, de l’assainissement et du gaz, le salon Aqua Pro Gaz, qui se tiendra à Espace Gruyère de demain à vendredi, propose diverses conférences autour d’enjeux de sécurité. Parmi les intervenants figure l’ingénieur civil Jacques Audergon. Il a conseillé l’ensemble des cantons romands dans leur analyse des risques. Cet expert fribourgeois dit vouloir «attirer l’attention sur un risque non négligeable»: le black-out électrique.

Quelle est la différence entre black-out et panne électrique?
Jacques Audergon: Un black-out n’est pas une simple coupure de courant localisée. C’est une rupture d’approvisionnement qui dépasse la notion de ville ou de canton.
La panne électrique qui a frappé Bulle en 2013 n’est donc pas un black-out…

C’est une question d’échelle. Un black-out toucherait la Romandie, une partie de la Suisse ou de l’Europe. C’est le genre de situation où on ne peut pas chercher de secours chez le voisin pour rétablir le réseau. Chacun se retrouve vite sur les dents.

Le scénario du roman Black-out, dans lequel l’auteur Marc Elsberg décrit une panique généralisée en Europe avec des pompes à essence en panne, des magasins vidés et du pillage ne serait donc pas de la pure fiction?
C’est un danger réel. La stabilité des réseaux est de plus en plus menacée. Le risque de black-out s’accroît.

Comment l’expliquez-vous?
A l’origine d’une panne électrique, on trouve soit une raison technique (une rupture d’un élément, comme un transformateur, une ligne…), soit un danger naturel (gel, ouragan, foudre, incendie, glissement de terrain…), ou alors une erreur humaine (une mauvaise programmation, fausse manœuvre…). Mais de nouveaux risques sont apparus.

Lesquels?
Il y en a trois, principalement: premièrement, les actes volontaires de hackers. Ils peuvent agir à distance sur un dispatching, un centre de gestion du trafic électrique. Aujourd’hui, on peut éteindre l’Europe depuis n’importe où dans le monde. Les hackers sont souvent plus habiles que les gens qui défendent les systèmes. Si une ligne s’effondre, un effet domino peut se produire à l’échelle européenne. Un deuxième risque provient des traders. Avec la réglementation européenne de 2018 sur la libéralisation du marché électrique, ils peuvent acheter du courant n’importe où pour le revendre dans un autre pays. Cette spéculation génère des flux difficiles à gérer techniquement sur les réseaux.

La Suisse n’est-elle pas épargnée en étant hors de l’Union européenne?
Non, car les flux entre l’Allemagne et l’Italie peuvent très bien traverser la Suisse et avoir pour conséquence d’accroître le risque sur le système.

Vous avez parlé des hackers et destraders. Quel est le troisième risque d’un nouveau type?
Il provient de l’électricité renouvelable. Elle produit des flux souvent imprévisibles. Des événements naturels peuvent faire fluctuer brutalement la production éolienne ou photovoltaïque.

A-t-on des signaux de cette fragilité accrue du système?
Oui. Avant 2018, on comptait une à deux situations de redispatching par an en Europe, c’est-à-dire quand il faut intervenir en urgence sur la répartition des flux. Maintenant, on en compte une à deux par mois.

L’arrêt de la centrale nucléaire de Mühleberg n’augmente-t-il pas aussi le risque de black-out?
Il augmente le risque de pénurie en tout cas… Le résultat de cette déconnexion programmée pose le problème de la couverture du déficit par d’autres moyens: l’économie d’énergie, la production indigène et l’importation. Et l’on sait déjà que l’importation va l’emporter sur le reste.

Pourquoi?
Car, même avec un effort considérable sur l’énergie photovoltaïque – qu’il faut développer –, on ne parviendra pas à combler le déficit à l’échéance des déconnexions programmées.

La solution passe donc par le courant importé…
Mais, si tous nos voisins se dirigent vers le renouvelable, ce ne sera pas possible. Le Gouvernement français a par exemple annoncé qu’il déconnecterait 14 réacteurs nucléaires d’ici à 2035.

Que faire alors?
Il faut réfléchir à comment améliorer la résilience si un black-out devait arriver.

Lors de votre conférence, vous évoquerez le cas des réseaux d’eau potable. Pouvez-vous en dire un peu plus?
Les réseaux d’eau potable sont des infrastructures critiques de la plus haute importance pour la population. Une étude vaudoise montre que la plupart d’entre eux ne seront pas en mesure d’assurer plus de 24 heures la distribution des quantités même minimales d’eau potable sans mesures de secours électrique. L’objectif est de sensibiliser les professionnels de la branche et les autorités à cette question.
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Le salon Aqua Pro Gaz fête sa 10e édition

Evénement bisannuel, le salon Aqua Pro Gaz accueillera dès demain à Espace Gruyère, et jusqu’à vendredi, quelque 120 exposants de l’ensemble de la Suisse. La manifestation dédiée aux professionnels de l’eau potable, de l’assainissement et du gaz célèbre cette année sa 10e édition. Trois cycles de conférences sont prévus: celui de demain, intitulé Contamination du réseau: prévenir et guérir, est mis sur pied par les Distributeurs d’eau romands (DER). Le Groupement romand des exploitants de stations d’épuration (GRESE) discutera des Futurs défis de l’épuration jeudi. La Société suisse de l’industrie du gaz et des eaux (SSIGE) et l’Association suisse des professionnels de la protection des eaux (VSA) s’interrogeront sur le cycle global de l’eau dans Tout est vraiment sous contrôle? lors de la journée de vendredi. La participation aux conférences se déroule sur inscription via le site internet d’Aqua Pro Gaz. L’invité d’honneur du salon 2020 est l’Association des fontainiers de Suisse romande (AFSR) qui valorise et représente le métier de fontainier.
En marge de la manifestation, un jury présidé par Philippe Perritaz, président du salon Aqua Pro Gaz, a décerné hier la Distinction innovation 2020 à la société Kamstrup basée à Glattbrugg (ZH) pour un compteur d’eau résidentiel avec détection acoustique des fuites. Le jury a dû faire son choix parmi huit innovations liées aux thèmes du salon et commercialisées sur le marché suisse depuis «au moins un mois avant l’ouverture du salon», communiquent les organisateurs de l’événement.